ilboursa arabic version ilboursa

Financement direct du Trésor par la BCT : Bonjour les dégâts

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1
La bourse de Tunis Ouvre dans 29h57min

 

Par le Professeur Hachemi Alaya

La récente initiative du gouvernement visant à obliger la Banque centrale de Tunisie à financer de manière exceptionnelle et à hauteur de 7 milliards de dinars, le déficit du budget de l'État de 2024 via des avances et des crédits sans intérêt, est antiéconomique, dangereuse pour l'avenir de ce qui symbolise la souveraineté tunisienne -le dinar-, appauvrissante pour le Tunisien, et préjudiciable pour l'image et l'avenir du pays.

Une décision de politique économique qui témoigne que le gouvernement n'est nullement engagé pour aborder le vrai problème économique tunisien, celui qui plonge le pays dans la récession, réduit les jeunes au chômage et la "harga" et condamne le Tunisien à l'appauvrissement.

Le lancinant problème de la Tunisie d'aujourd'hui n'est pas le manque de ressources budgétaires mais l'excès de dépenses improductives d'un État qui pédale le nez dans le guidon, sans vision pour l'intérêt bien compris du présent et de l'avenir du pays.

L'État tunisien vit largement au-dessus de ses moyens

En effet, le vrai problème de la Tunisie est son État. Un État qui vit largement au-dessus de ses moyens. Avec des recettes fiscales qui avoisinent 32,5% du PIB en 2021 (dixit l'OCDE) et sans doute davantage en 2022-2023, contre 34,1% pour les pays riches de l'OCDE et 15,6% en moyenne en Afrique, la Tunisie est déjà parmi les pays les plus taxés au monde.

Malgré cela, l'État tunisien a réussi la gageure de faire porter le déficit de son budget de 4,5% du PIB durant les trois années pré-Covid à plus de 7,7% du PIB pour les trois années post-Covid (et 8,1% si on inclut l'année 2020 de la crise). Il est en passe de porter l'argent qu'il dépense d'un peu plus de 60 milliards de dinars en 2022 à plus de 71 milliards en 2023 dont, plus du tiers (36,3%) est couvert par de l'argent qu'il n'a pas : les fameuses ressources de trésorerie.

Une progression des dépenses qui se fait au détriment de celles qui tirent la croissance (l'investissement) et de celles qui contribuent au fonctionnement un tant soit peu normal des écoles, des hôpitaux et autres services publics de base : les dépenses de gestion.

La vraie réponse au problème budgétaire tunisien : réformer l'État et restructurer la dépense publique

Tout ceci pour dire que l'État tunisien vit largement au-dessus de ses moyens et que la vraie réponse au problème budgétaire tunisien réside dans une vraie réforme de l'État et une profonde restructuration de la dépense publique et non le recours à la planche à billets pour financer des dépenses qui du reste, sont largement improductives : salaires, subventions des prix des produits de base dont notamment les carburants qui pourtant ne sont pas brûlés par les catégories modestes et service d'une dette qui ne cesse d'enfler.

Des dépenses qui entretiennent une consommation qui plombe le compte extérieur du pays et épuise ses ressources en devises. La réponse conforme à la bonne intelligence de l'intérêt de la Tunisie, consiste à s'atteler à réduire le train de vie d'une machine administrative que tout le monde s'accorde pour dire qu'elle est lourde, paralysante et, si l'on se réfère à l'indice de perception de la corruption publié cette semaine par Transparency International, notoirement gangrenée par la corruption.

L'option gouvernementale : la solution de facilité

Plutôt donc, que de s'atteler à mettre l'appareil d'État au niveau des exigences de l'économie et des attentes du citoyen, le gouvernement a opté pour la solution de facilité : lever le dernier obstacle qui jusqu'ici a permis de limiter -mais pas de les exclure- les dégâts en matière de financement monétaire du budget.

En muselant d'avance par voie législative le futur gouvernement de la Banque centrale de Tunisie et en l'obligeant à financer à hauteur de 7 milliards de dinars le déficit du budget de l'État de 2024 via des avances et des crédits sans intérêt, il a pris le risque d'engager le pays sur une voie qui va aggraver la crise économique et sociale dans laquelle plonge le pays depuis plus de quinze ans.

Une voie périlleuse pour ce qui symbolise tout en l'assurant, la souveraineté tunisienne -le dinar-, appauvrissante pour le Tunisien et préjudiciable pour l'image, la crédibilité et l'avenir du pays.

Une menace réelle pour le dinar

En effet, la monnaie est d'abord une institution stratégique dans la vie sociale et économique d'une nation. Une institution garante de la stabilité politique, sociale et économique du pays. C'est pour faire court, un instrument d'échange et une réserve de valeur qui repose fondamentalement sur la confiance.

Aussi, lorsque la quantité de monnaie augmente plus vite que la production de richesses, sa valeur baisse et la confiance qui la soutient prend la poudre d'escampette. Qu'on le veuille ou non, même exceptionnel -encore que le recours aux mesures exceptionnelles dans notre pays devienne vite une pratique incontournable-, le recours à la planche à billets porte en lui le risque réel de déprécier le dinar et de favoriser la dollarisation (fuite devant le dinar) de la Tunisie.

L'inflation pénalise surtout les catégories sociales les plus faibles

Et, dans la mesure où la dépréciation de la monnaie nationale est synonyme de hausse des prix, l'inflation qui ne manquera pas d'en résulter, est surtout pénalisante pour les catégories sociales les plus faibles de la société : les salariés, les retraités et les bénéficiaires des transferts sociaux perdent du pouvoir d'achat par l'inflation sans pouvoir le récupérer en augmentant suffisamment leurs revenus.

En optant pour la création monétaire sans contrepartie donc, en optant délibérément pour l'inflation et, dans le même temps, de s'attaquer aux catégories sociales qui ne survivent que par et dans l'informalité, le gouvernement a inconsciemment allumé la mèche des révoltes sociales dont la Tunisie est coutumière.

La Tunisie ne peut se passer de ses sources de financement extérieures traditionnelles

En attendant, le projet de loi que vient d'approuver le gouvernement ne peut être perçu à l'étranger que comme une atteinte à l'indépendance de la Banque centrale de Tunisie et une restriction supplémentaire à son rôle de gendarme garant d'une bonne gestion de la monnaie nationale.

C'est à l'évidence, un très mauvais signal de malgoverno que la Tunisie envoie au reste du monde et notamment aux bailleurs de fonds et investisseurs étrangers. Une mesure qui de facto, signe la rupture définitive avec le FMI et exclut tout accès au marché financier international à des conditions soutenables.

Or, la Tunisie a un déficit extérieur structurel chronique qu'elle ne peut financer en comptant uniquement sur ses propres ressources (exportations de marchandises, tourisme, transferts de la diaspora). Des exportations qui, contrairement aux apparences, sont très mal en point (les livraisons de pétrole ont terminé l'année 2023 en recul de -16,1% par rapport à 2022, celles afférentes au phosphate & dérivés, de -25,8%).

Malgré une très bonne année touristique et des transferts de la diaspora conséquents, ces deux sources de devises n'ont comblé en 2023 que 71,8% d'un déficit commercial amoindri au prix de restrictions à l'importation et de pénuries de produits de base. C'est dire donc que la Tunisie ne peut en aucun cas se passer de ses sources de financement extérieures traditionnelles.

Fuite des investissements étrangers

Le problème s'aggrave lorsqu'on réalise qu'une partie non négligeable du déficit courant de la Tunisie est couverte par les capitaux qui entrent au titre des investissements étrangers : 20,3% du déficit des transactions courantes des cinq dernières années (2018-2022) a été couvert par les entrées nettes de capitaux d'investissements étrangers.

Empiéter sur l'indépendance de la Banque centrale (car c'est bien ainsi que le projet du gouvernement va être perçu à l'international) dans un contexte fortement marqué par la pénurie de devises et très mal noté par les agences de rating, c'est aggraver le phénomène de fuite des investissements étrangers, une dérobade qui du reste, est déjà l'œuvre depuis des années : sur les cinq dernières années, le tissu industriel tunisien s'est appauvri de 185 entreprises étrangères dont 79 sont italiennes et 58 françaises.

Un effet d'éviction désastreux pour la croissance économique

Non seulement le gouvernement n'a nullement l'intention de revisiter son train de vie mais il ne semble guère se soucier outre mesure des conséquences néfastes sur l'économie réelle des prélèvements qu'il opère sur les capacités des banques tunisiennes à financer l'économie réelle.

En effet, depuis qu'il a décidé de se passer du FMI, il s'est privé de facto de ses sources de financement traditionnelles et s'est tourné massivement vers le marché des capitaux domestique. Il a accaparé en 2023 le quart de la totalité des crédits consentis par les banques -une part qui a plus que doublé en % du PIB en l'espace d'à peine cinq ans- asséchant ainsi les financements bancaires accordés à l'économie.

Ces derniers ont progressé en 2023 au rythme le plus faible depuis plus de deux décennies (+2,2%) cependant que les crédits à l'État ont explosé dans l'intervalle à plus de 24,8%. Bien plus, il a aussi eu recours, dès 2020, au financement monétaire direct de la BCT, un recours pourtant interdit par la loi.

Les dégâts d'une telle politique économique sont déjà là

Malgré le fort recul des prix mondiaux des matières premières, la Tunisie n'a toujours pas réussi à juguler son inflation. Loin de poursuivre son rattrapage, la croissance ne cesse de faiblir et le PIB réel de la Tunisie va terminer l'année 2023 à un niveau inférieur à celui de l'année pré-Covid : 95,8 milliards de dinars constants de 2015 contre 96,8 milliards en 2019.

Les multiples précautions prises par le gouvernement dans son projet de loi montrent qu'il est conscient de tous ces risques. Avec la dose supplémentaire de monnaie de singe que le gouvernement envisage d'administrer à la politique monétaire, bonjour les dégâts.

Publié le 05/02/24 10:02

SOYEZ LE PREMIER A REAGIR A CET ARTICLE

Pour poster un commentaire, merci de vous identifier.

UomCPlxjrhh6MpbTPyaBAro35ii9aoExct0m0_kioDY False